BERNARD-MARIE KOLTÈS
DANS LA SOLITUDE DES CHAMPS DE COTON
Les Éditions de Minuit
Création tous publics 2012

Production Théâtre de Paille - Coproduction Comédie de Picardie - Amiens, Le Palace - Montataire, MAL - Laon, MCL - Gauchy - Soutiens et résidences Théâtre du Chevalet - Noyon, Le Mail - Soissons, Centre Culturel Jules Verne - Breteuil, Théâtre du Beauvaisis - scène nationale - Beauvais - Aide à la création DRAC Picardie, Conseil Régional de Picardie, Conseil Général de l’Oise
Mise en scène/interprétation
Frédéric De Goldfiem
Christophe Laparra
Assistante à la mise en scène
Céline Dauvergne
Direction d'acteurs
Marie Ballet
Regard extérieur
Aurélie Cohen
Créateur Lumière
Jean-Gabriel Valot
Créateur sonore
Jean-Kristoff Camps
Costumes
Catherine Lefevbre
Photos
Yvan Grubski
Pour ce texte, l’envie est de travailler sur la notion de performance et d’installation. Il nous semble en effet que le texte de Bernard-Marie Koltès, dans la confrontation qu’il propose, questionne de fait le rapport au plateau tant pour les acteurs que pour les metteurs en scène que nous sommes. C’est pourquoi, nous choisissons comme option de travail de n’avoir aucune scénographie préalablement établie mais de fonder à chaque fois notre rapport à l’espace par la prise en compte de l’architecture des lieux de représentations dans lesquels nous serons amenés à jouer ce texte. Pour ce faire, nous mettrons les plateaux de théâtre à nu : pas de rideau de scène, pas de pendrillons, etc,… Ce désir répond à un besoin qui émane tant du choix du texte que de nos questionnements respectifs sur la notion de représentation théâtrale. Bernard-Marie Koltès offre un lieu, deux personnages et leur langage. Nous voulons donc nous aussi retrouver cette notion de la mise en confrontation de ces trois éléments : un espace, des corps et une parole. C’est pourquoi nous faisons ce choix radical d’une recherche entre deux acteurs se confrontant à des espaces toujours nouveaux qui induiront notre incarnation spatiale et temporelle et qui par leur mise à nu proposeront une scénographie où peut s’incarner la réalité urbaine des personnages koltésiens.
Frédéric De Goldfiem et Christophe Laparra

Christophe Laparra, artiste associé à la Comédie de Picardie, met en scène et interprète avec Frédéric de Goldfiem, la confrontation entre le Dealer et le Client, figures mythiques d’une rencontre hasardeuse imaginée par Koltès.
Christophe Laparra et Frédéric de Goldfiem se tiennent sur le plateau nu, avec, pour seul décor, les lumières de Jean-Gabriel Valot et la création sonore et musicale de Jean-Kristoff Camps. Koltès recommandait que le Dealer soit noir, ou vêtu de noir, pour marquer son appartenance au monde de la nuit et du commerce illicite, face au Client, homme du jour et de la légalité, en blanc. Contrairement à ce conseil, les deux comédiens portent des costumes dans les mêmes tons, et suggèrent, comme s’ils étaient interchangeables, que seul importe le rapport entre eux, ou plutôt son échec. Le choix de ces vêtements presque identiques (un peu plus chic pour le Client, peut-être) érige les personnages de Koltès à hauteur allégorique, dans cet univers aride où les êtres sont comme des citadelles inexpugnables au cœur d’un désert désolé. La rencontre improbable, sans temps ni lieu, entre le Dealer et le Client est marquée par le double avortement du désir et du conflit, et ce sont deux espaces mentaux qui se croisent, sans communauté possible, dans une durée dilatée aux dimensions de l’éternité.
L’art verbal comme art martial
Sorte de supplice sans début ni fin, le texte confronte ses héros au désir de l’autre et au désir de mort, tous deux – et par définition – vides, et pourtant repris dans une création continuée du désespoir. A la fois négociation commerciale et tractation diplomatique, l’échange entre les deux hommes ne dévoile pas son objet, à moins que celui-ci ne soit le désir lui-même, que le Dealer pourrait satisfaire, si le Client l’éprouvait. A la fin de la pièce, il ne reste plus que la possibilité du conflit : « Alors, quelle arme ? », demande le Client. Toute la pièce n’est donc que la préparation de cette faillite ultime : le temps de la négociation est le temps de la diplomatie. « Le premier acte de l’hostilité, juste avant le coup, c’est la diplomatie, qui est le commerce du temps. Elle joue l’amour en l’absence de l’amour, le désir par répulsion. », dit Koltès dans Prologue. Christophe Laparra et Frédéric de Goldfiem font le pari d’une austérité scénique ambitieuse. Ils choisissent également de mettre en évidence les contrastes de la langue de Koltès, mélange subtil entre oralité brutale et syntaxe recherchée. Ils disent le texte avec une diction sophistiquée et un grand souci de la musicalité de chaque mot. Leurs corps incarnent également ce contraste entre violence brute et raffinement des postures, et leurs déplacements scéniques ressemblent à une chorégraphie d’art martial. Le Théâtre de Paille, compagnie en résidence au Palace à Montataire, réussit un traitement original, raffiné et subtil de ce texte de Koltès.
Catherine Robert
Journal La Terrasse, le 18 décembre 2012 - N° 205


